28/11/2013

Alain Soral et le « butin de guerre » de la liste antisioniste – un conte iranien

Beaucoup le soupçonnaient. C’est désormais avéré : la liste antisioniste conduite par Dieudonné aux européennes de 2009 a bénéficié de subsides iraniens. Un enregistrement d’Alain Soral, à l’époque cinquième sur la liste, le confirme. Ressortie à l’occasion d’un énième règlement de comptes, la vidéo fait beaucoup de bruit à l’extrême-droite et intéresse la justice.

Il y a une constante dans l’auto-proclamée « dissidence », marigot idéologique d’extrême et d’ultra-droite regroupant le mouvement Égalité et Réconciliation d’Alain Soral, les aficionados de Dieudonné et nombre de petits groupuscules complétement allumés. Ses figures les plus en vue ont une forte tendance à se retourner les unes contre les autres, à détricoter les frêles alliances qu’ils avaient nouées et à se bouffer le nez. C’est plus fort qu’eux. Mieux : ils le font publiquement, au vu et au su de tous, via des vidéos postées sur Youtube1. Et ils en oublient parfois toute prudence, laissant fuiter certaines informations censément secrètes.
Pour dernier avatar de cette perpétuelle Nuit des longs couteaux, la sévère brouille entre Alain Soral et Ahmed Moualek, proche de Dieudonné2 et président de La Banlieue s’exprime, un groupuscule extrémiste. Les deux hommes, solidement ancrés à l’extrême-droite, se connaissent bien : lors des élections européennes de 2009, ils figuraient ensemble sur la liste antisioniste portée en Île-de-France par Dieudonné : Alain Soral occupait la cinquième place et Ahmed Moualek la septième. Mais leur compagnonnage remonte plus loin en arrière : en 2006, ils s’étaient par exemple rendus de concert (avec le complotiste Thierry Meyssan, Dieudonné et le frontiste Frédéric Chatillon3) en visite en Syrie et au Liban.

Soral et Moualek sont donc de vieilles connaissances. Leur brouille, par contre, est très récente. Elle naît d’une vidéo mise en ligne par Ahmed Moualek le 23 août dernier. Il y explique qu’il a changé d’avis à propos de la situation en Syrie et qu’il « ne soutient plus Bachar El Assad », « un traître à son propre peuple ». La prise de position n’a rien d’anodine au sein d’une extrême-droite française qui soutient d’autant plus Assad que la Syrie est traditionnellement l’un de ses grands argentiers. Pour un Alain Soral, particulièrement engagé dans le soutien au régime syrien, la vidéo d’Ahmed Moualek vaut donc déclaration de guerre.
La riposte ne tarde pas. Sur le net, Moualek est attaqué de toutes part par les affidés d’Égalité et Réconciliation. Et il n’apprécie pas. Il apprécie d’autant moins que, lui, qui se revendique antisioniste radical (pour ne pas dire antisémite – l’homme a par exemple inventé un mot pour ceux qu’il considère comme sionistes : juifistes), se retrouve d’un seul coup traité de suppôt d’Israël par ses anciens amis. Insulte suprême.
Conséquence : Moualek contre-attaque. Il le fait au moyen d’une vidéo mise en ligne le 24 août et titrée « Alain Soral, où est le butin de guerre de la liste antisioniste ? ». Dans celle-ci, face caméra, il se plaint de la perfidie de ses anciens compagnons de lutte. Surtout, il exhume une autre vidéo, enregistrée en mars dernier à l’occasion d’un déplacement à Nice du meneur exalté d’Égalité et Réconciliation ; un film dans le film, en somme. Alain Soral y tient le crachoir. Et au détour d’un monologue portant sur la forme politique qu’il conviendrait de donner à la « dissidence », il fait cette étrange confession à propos du financement de la liste antisioniste de 2009 : « Si on a pu faire la liste antisioniste qui a coûté 3 millions d’euros, c’est parce qu’on a eu l’argent des Iraniens. Faut le dire, faut être honnête. Si on ne les avait pas eus, on n’aurait pas pu le faire : on n’a pas 3 millions d’euros. Surtout qu’on les a perdus, puisque pour être remboursé, il fallait faire 5 % minimum. » Bam.
Le soutien de l’Iran à une partie grouspusculaire de l’extrême-droite française a souvent été évoqué4. Cela se dit. Mais là, c’est différent : Alain Soral le balance recta, l’avoue sans ambages. Plus étonnant encore : il le fait devant une caméra, lors d’une réunion publique.
Dans sa déclaration vidéo, Ahmed Moualek explique ne jamais avoir été au courant de l’existence de ces trois millions d’euros. Il raconte d’ailleurs qu’il n’était pas question de se faire rembourser le moindre frais lors des séances de tractages auxquelles il a participé, mentionne que même le kebab était de sa poche... Mais il demande surtout des comptes, sous-entendant au passage des malversations financières : « Personne n’est au courant de ces trois millions d’euros. La liste anti-sioniste, de ce que j’avais pu comprendre, elle était financée – tout le monde n’était pas au courant – à hauteur de 300 000 euros. Soral fait des révélations. C’est son droit, hein, c’est son droit de le faire. […] Moi, j’aimerais savoir, je pose la question à Soral […] : Soral, où est le butin de guerre ? Où sont ces trois millions d’euros que tu as ou que vous avez touchés, je ne sais pas ? Où est cet argent ? […] Tout le reste de la liste antisioniste, comme moi, n’a pas touché un euro. J’en ai même pas senti l’odeur... »
Sur le net d’extrême-droite, cette vidéo, visionnée plus de 50 000 fois, fait beaucoup de bruit. Si Alain Soral ne peut l’ignorer, il ne réagit pourtant pas personnellement. Par contre, le 27 août, le site d’Égalité et Réconciliation reprend la vidéo de Moualek, avec cette précision : « À la question de savoir s’il faut faire évoluer la dissidence vers une forme politique plus institutionnelle, Alain Soral répond en rappelant la réalité de la politique politicienne et en évoquant les fameux « 3 millions d’euros » (qu’il faut bien sûr imputer à la fatigue et corriger en 300 000). » 300 000 et non 3 millions d’euros ? La langue qui fourche, un coup de fatigue ? Mouais.... Admettons. Sauf que ça ne change pas grand-chose.
L’intérêt de cette vidéo d’un Soral expliquant benoîtement que la liste antisioniste n’a pu exister que grâce à l’argent de la République islamique d’Iran ne réside en effet pas dans le montant de la somme. Il est ailleurs, dans cet aveu réitéré (une première fois à Nice en mars dernier, puis une seconde sur le site d’Égalité et Réconciliation le 27 août) d’une subvention totalement illégale. Et même, doublement illégale.
La liste antisioniste n’a en effet déclaré à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques que les sommes – mirifiques – de 6 691 euros de dépenses et 6 922 euros de recettes (dont 5 796 euros de dons)5. Les subsides iraniens n’y figurent donc pas. Ce qui laisse à penser que les comptes de la liste antisioniste sont mensongers. Une manipulation qui, à première vue, ne porte pas à conséquence : la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques ne peut effectuer de recours que dans les huit mois suivant l’élection. Il y aurait donc prescription.
Par contre, l’article L 52-8 du code électoral interdit formellement aux candidats aux élections de percevoir de l’argent d’un pays étranger. Plus précisément, il stipule : « Aucun candidat ne peut recevoir, directement ou indirectement, pour quelque dépense que ce soit, des contributions ou aides matérielles d’un État étranger ou d’une personne morale de droit étranger. »
Les risques juridiques sont ici un chouia plus importants : l’article L 113-1 du code électoral prévoit que « sera puni d’une amende de 3 750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement, tout candidat en cas de scrutin uninominal, ou tout candidat tête de liste en cas de scrutin de liste, qui aura accepté des fonds en violation des dispositions de l’article L. 52-8 ». La peine encourue reste légère, mais nul doute que Dieudonné – considéré comme responsable en tant que tête de liste – ne souhaite pas spécialement se retrouver une nouvelle fois au tribunal.
Pas de bol, cela lui pend au nez. Quand j’ai demandé à me rendre sur place, dans les locaux de la Commission, pour consulter les comptes détaillés6 de la campagne de la liste antisioniste, on m’a répondu qu’ils n’étaient pas disponibles. Il se trouve qu’il n’existe qu’une seule possibilité pour qu’ils ne le soient pas : une réquisition judiciaire. Dit autrement, une enquête est en cours. Voilà qui ne devrait pas arranger les affaires de la « dissidence » – en soi, une excellente nouvelle.
Mais la nouvelle pourrait devenir meilleure encore. Imaginons que les sous-entendus de Moualek se vérifient, que des membres de la liste antisioniste aient réellement fait main-basse sur une partie des subsides iraniens et que la justice le découvre : pour le coup, certaines figures de la « dissidence » passeraient vraiment un hiver pourri....

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