Depuis des siècles, la prostitution est l’un des piliers fondamentaux de la domination masculine. A présent, même si les personnes prostituées ne sont pas toutes des femmes, elles s’identifient rarement comme appartenant à une catégorie identitaire de genre masculin. Ce qui n’est pas le cas de la clientèle. La prostitution alimente le mythe d’un « besoin sexuel » supérieur chez les hommes et celui d’une vénalité « naturelle » chez les femmes qui ne consentiraient que dans le cadre d’un échange pour obtenir autre chose qu’un rapport sexuel.
Selon les schémas du patriarcat, un homme se définit par lui-même, sa sexualité n’aura pas d’incidence majeure sur son identité, par contre une femme est définie par rapport aux hommes, et de sa sexualité découlera l’identité que la société lui attribuera. Cela se confirme, entre autre, par l’observation des habitudes langagières. Par exemple, l’usage quotidien et administratif imposant le qualificatif intrusif et infantilisant du terme « mademoiselle » aux femmes célibataires (ou supposées l’être) ainsi qu’aux petites filles induit l’idée selon laquelle l’intimité d’une humaine doit être étalée sur la place publique. De même, certaines administrations attribuent d’office à une femme mariée le nom de son époux même lorsqu’il apparaît clairement qu’elle ne l’a pas choisi, et feignent d’ignorer qu’un homme marié peut porter le nom de son épouse.
Sous l’Antiquité à Rome et en Grèce, la prostitution était encouragée pour préserver la famille patriarcale. Le système patriarcal construit, pour se pérenniser, des carcans identitaires auxquels les femmes doivent se conformer. Ils se divisent en deux grandes catégories : la femme « purifiée » qui appartient à un seul homme, est lavée de son « impureté originelle » en accédant au rôle sacralisé de « la mère qui enfante dans la douleur » (ex : la ménagère fidèle dont la sexualité est niée à l’image de la « vierge » marie), et celle qui est « impure », appartient à tous les hommes et sert de réceptacle aux « pulsions sexuelles » des dominants afin de préserver la « vertu » de l’autre femme (la prostituée qui n’existe qu’à travers une sexualité dont elle est dépossédée).
Objets sacralisé ou méprisé, on les oppose alors qu’elles sont les deux facettes de la même femme aliénable ou aliénée, jamais propriétaire d’elle même. Il existe de multiples formes de relations prostitutionnelles qui ne sont pas reconnues comme telles (ex : dépendance économique et « devoir conjugal » des « femmes au foyer »). La prostitution participe à leur maintien au travers des représentations qu’elle véhicule par sa simple existence. Elle encourage la volonté de toute puissance des individus qui préfèrent payer plutôt que prendre le risque de vivre des relations sexuelles égalitaires. « Mais ce qu’ils achètent, en un sens, c’est le pouvoir. Nous sommes censées nous conformer à leur bon plaisir. Ils nous dictent leur volonté et nous, nous devons leur plaire, obéir à leurs ordres. Même dans le cas des masochistes, qui aiment obéir, c’est encore sur leur ordre à eux que nous les commandons. La prostitution rabaisse non seulement les femmes, mais aussi le sexe... oui, elle rabaisse le sexe.[...] il y a dans la prostitution une indignité particulière, comme si le sexe était une chose sale et que les hommes ne pouvaient en jouir qu’avec quelqu’un de bas. Ça implique une espèce de mépris, de dédain, et une sorte de triomphe sur un autre être humain. » [1]
Dès le Moyen Âge, l’Eglise est favorable à la prostitution. « « Supprimez les prostituées, disait saint Augustin, vous troublerez la société par le libertinage. » Et plus tard saint Thomas [...] déclare : « Retranchez les femmes publiques du sein de la société, la débauche la troublera par des désordres de tous genre. Les prostituées sont dans une cité ce qu’est le cloaque dans un palais : supprimez le cloaque, le palais deviendra un lieu malpropre et infect. » » [2]. « Et Mandeville dans un ouvrage qui fit du bruit : « Il est évident qu’il existe une nécessité de sacrifier une partie des femmes pour conserver l’autre et pour prévenir une saleté d’une nature plus repoussante. » » [3].
« A mon avis, la conviction que les femmes sont sales, que les organes génitaux sont sales, nous colle vraiment à la peau. Si je n’aime pas qu’un type me jouisse dessus, je croie que c’est pour ça. Parce que je me trouve sale. Je n’aime pas ça parce que j’ai l’impression que je suis sale... et qu’eux ne le sont pas. Peut-être qu’eux, ça les lave. Le fait qu’on se croie sale est très important. » [4]. Il est donc clair qu’en réalité, l’idéologie puritaine rejette la liberté sexuelle et non la prostitution car cette dernière lui sert d’exutoire. Les puritain-e-s ont intérêt à entretenir la confusion entre les deux pour occulter l’existence potentielle ou vécue d’une jouissance inaliénable.
On peut constater que l’Eglise a réussi son entreprise de conditionnement mental durable et profond car la prostitution remplit toujours son rôle de force de répression contre la libération des personnes dominées en imposant l’image d’une vénalité « naturelle » et le sentiment de culpabilité dans leur sexualité. « L’une des pires choses, c’est de faire semblant. Il fallait mimer l’orgasme. Les hommes l’attendent parce que c’est la preuve de leur virilité.C’est une des pires choses. Ça, c’est vraiment se conduire en putain, cette malhonnêteté. » [5]
Au contraire, la véritable liberté sexuelle fait du désir et de la jouissance de chaque personne une fin en soi et exclut les « non-dits », la simulation ainsi que les rapports de domination. Les « travailleu-se-r-s du sexe » qui réclament la règlementarisation de la prostitution déclarent souvent ne pas vendre leur corps mais un « service sexuel ». Ce « service » se traduit quoi qu’il en soit par une mise à disposition du corps. Une sorte de location, comme si le corps d’une personne était un objet... un objet extérieur à elle-même. Et c’est à ce rapport de chosification et de division avec leur propre corps que les personnes prostituées sont contraintes de se soumettre pour satisfaire les exigences de leur clientèle. Cette vision réductrice du corps devenu objet est banalisée car profondément intégrée dans les mentalités. Ils influencent les prises de position des réglementaristes et des légitimistes qui accusent les abolitionnistes de puritanisme. Il est pourtant le fruit du conditionnement mental puritain qui consiste à vouloir séparer ce qui est supposé être « le corps » de ce qui est supposé être « l’esprit » en les plaçant dans un rapport hiérarchique. Puisque le corps est jugé « inférieur », il peut alors servir d’ustensile, d’outil de travail.
Cette division hiérarchique sert aussi de support à l’exploitation capitaliste en général, qu’elle se traduise par le salariat où par n’importe quel autre forme de rapport marchand. Cependant, dans la prostitution ce ne sont pas seulement certaines parties du corps qui sont utilisées, mais le corps tout entier selon les envies du client qui, comme dans tous commerce est « roi ». « Le pire, dans la prostitution, c’est qu’on est obligé de vendre, non seulement son sexe, mais aussi son humanité. C’est ça le pire : ce qu’on vend, c’est sa dignité humaine. » [6]
Le mot « travail » vient du latin « tripalium » qui désignait un instrument de torture. Et jusqu’à maintenant, il a gardé son sens premier : la souffrance, la pénibilité, le tourment. Il inclut un sens sacrificielle et appartient à la morale religieuse : « Tu travailleras désormais à la sueur de ton front [...] » (La Genèse). D’ailleurs, le « Qui ne travaille pas ne mange pas. » de St Paul fait écho à la morale capitaliste et à ses conséquences désastreuses. Pour vivre (ou survivre) il faudrait se soumettre à l’obligation de sacrifier son temps et son corps, gâcher une partie plus ou moins importante de sa vie et de sa santé dans la souffrance.
Avec le développement de la bourgeoisie, le sens de ce mot s’est élargi à celle d’activité marchande, l’inscrivant ainsi dans la dimension de l’échange qui induit la compétition entre les individus et leurs inégalités économiques et sociales. L’idéologie du travail s’impose et emprisonne les personnes dans cette obligation du « don – contre don » qui sert de justification « indiscutable » à la domination et à l’exploitation. Par conséquent, il n’est pas étonnant que le travail soit une valeur d’extrême droite. A l’entrée du camps de concentration d’Auschwitz il était écrit « Le travail rend libre » et la devise du Maréchal Pétain était « Travail, Famille, Patrie ».
Pour que le travail soit aboli, il faudrait que les activités utiles soient distribuées et exercées dans une dynamique de partage et de gratuité qui prenne en compte les besoins et les désirs de chaque personne, et non dans un maintien des rapports marchands qui, eux, sont basés sur une logique d’échange.
D’autre part, par le biais de la pornographie commerciale dite « professionnelle », de la publicité sexiste et des différentes formes de prostitutions, le capitalisme a intérêt à faire passer la consommation de sexe pour de la liberté sexuelle. Elene Vis, fondatrice de « l’école du sexe » au Pays-Bas déclare à ses élèves « Vous pouvez parler de techniques de vente. Vous devez vous vendre et peu importe qu’il s’agisse de votre propre corps ou d’aspirateurs. Le principe est le même ». Vouloir qu’un acte sexuel puisse être un « service » rendu dans le cadre d’un échange revient à vouloir défendre l’idée selon laquelle les personnes dominées doivent « naturellement » s’abstenir de rechercher le plaisir pour elles-mêmes. C’est vouloir que la sexualité soit un produit qui se vend plutôt qu’un plaisir qui se partage. La prostitution, c’est l’aliénation de la sexualité au capitalisme !
Vouloir la création d’un statut professionnel de « travailleu-se-r-s du sexe » c’est reconnaître une utilité sociale à la prostitution, c’est adhérer à la morale puritaine, à la marchandisation et au patriarcat. La prostitution ne représente aucun danger pour le système. Au contraire, elle est à son service et le sert avec une efficacité redoutable lorsqu’elle se revendique « librement choisie ».
La loi Sarkozy contre le « racolage passif » criminalise les personnes prostituées les plus vulnérables. L’écrasante majorité d’entre elles n’ont pas choisi de se prostituer parce qu’elles en éprouvaient le désir, mais pour survivre en espérant que cette situation sera temporaire. Pourtant ce n’est pas à elles que les médias capitalistes et machistes ont donné la parole au moment de la promulgation de cette loi, mais à des commerciales du sexe ultra minoritaires qui s’inscrivent dans une démarche règlementariste et/ou légitimiste et non pas révolutionnaire, revendiquant le titre de « travailleu-se-r-s du sexe ». Leur argument central est que la prostitution serait majoritairement un « choix professionnel », et que son existence serait une nécessité.
C’est ce que pensent également les anti-féministes (comme par exemple Eric Zémmour), dont celles et ceux qui, comme Elizabeth Badinter, affichent une étiquette de « féministe ». Le discours de Christine Boutin et Chantal Brunel (députée UMP de Seine-et-Marne) est plus hypocrite encore, car tout en admettant que la prostitution est une violence faite aux femmes, elles préconisent la réouverture des maisons closes.
On entend souvent « Si elles déclarent que c’est un choix, où est le problème ? ». D’une part elles sont ultra-minoritaires à déclarer que « c’est un choix » même si elles s’expriment au nom de toutes. D’autre part, qu’entendons-nous par « c’est un choix » ? Dans le cas d’un objet, « l’essence – c’est à dire l’ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir – précède l’existence » (J-P Sartre). Le concept « table » précède et conditionne la fabrication de tables. A l’inverse, pour les humain-e-s, l’existence précède l’essence car aucune divinité n’est à l’origine de notre « création ». « Il n’y a donc pas de nature humaine puisqu’il n’y a pas de dieu pour la concevoir » (J-P Sartre). Nous existons d’abord, nous nous définissons ensuite par l’ensemble de nos actes. Chaque personne est donc responsable de ce qu’elle est, car elle n’est pas l’oppression qu’elle subit ni l’un de ses actes isolé des autres. Elle est ce qu’elle choisi de faire et de dire dans les limites de la marge de manœuvre dont elle dispose qui dépend du contexte dans lequel elle se trouve. Elle est son propre projet, le fruit de ses choix, de ses choix uniquement, et l’injustice dont elle est la cible ne la définit absolument pas. Être conscient-e-s nous oblige en permanence à faire des choix car nous n’avons pas d’instinct pour nous dicter notre conduite.
La responsabilité que la condition humaine nous confère peut être angoissante, mais elle est aussi le signe de nos libertés potentielles. La plupart des choix sont des choix par dépit, des choix stratégiques de survie ou d’auto-destruction matérielle et/ou psychique, plus rarement, nous estimons avoir l’opportunité de choisir par désir. Tout acte humain est donc le résultat d’un choix, mais ce choix est la plupart du temps un consentement sans désir. Au sein des armées, il y a des individus qui y sont entrés volontairement, parce qu’ils adhèrent à l’idéologie militariste. Il y a aussi des personnes qui y sont entrées volontairement, mais sans désir ni conviction, parce qu’elles ne voyaient pas d’autre moyen pour survivre. Et il y en a aussi qui sont enrôlées de force, parmi elles certaines font le choix de tenter une évasion et d’autres se suicident.
On ne peut pas défendre la liberté sexuelle en se satisfaisant de la notion de consentement (qui d’ailleurs convient parfaitement à la justice étatique dans de nombreux cas de viols). Il est très fréquent qu’une personne consente à avoir une relation sexuelle, non pas parce qu’elle en éprouve le désir mais parce qu’elle pense qu’elle le doit, ou estime ne pas pouvoir s’y soustraire sans prendre de risques qu’elle ne pourrait supporter. Une passe, c’est un viol tarifé !
L’expression « liberté de choix » avancée dans les discours réglementaristes sonne creux... Au travers de son utilisation, il apparaît une confusion entre la définition de la liberté dans la doctrine libéraliste et la définition de la liberté d’un point de vue anarchiste. Pourtant, d’un côté on s’inscrit dans un système de compétitions et de performances qui répartie les possibilités d’exercer le libre arbitre de manière inégale. De l’autre côté on estime que la véritable liberté, celle pour laquelle on se bat, ne peut s’accomplir que dans l’égalité économique et sociale inconditionnelle. Il est évident que ces deux définitions s’opposent même si les « travailleu-se-r-s du sexe » déclarent choisir leur clientèle et prétendent aimer « le sexe ».
Mais il y a aussi des personnes prostituées qui choisissent de demander de l’aide aux services sociaux et aux associations abolitionnistes pour trouver la force et les moyens de quitter la prostitution. Je suppose qu’elles ont leurs raisons... leurs situations sont compliquées et elles sont très nombreuses aux regard des moyens dont disposent ces services sociaux et ces associations. En faisant l’apologie de la prostitution, les « travailleu-se-r-s de sexe » font un choix idéologique et politique ultra-libéraliste et non libertaire, de la propagande par l’acte contre la liberté sexuelle. « Une liberté qui ne s’emploie qu’à nier la liberté doit être niée », Simone de Beauvoir. Adhérer à leurs discours n’est pas compatible avec une quelconque solidarité a l’égard de l’écrasante majorité des personnes prostituées.
C’est facile de se proclamer « de gauche », voir « libertaire » comme le font certains individus favorables à la prostitution. Certains groupuscules et partis d’extrême droite se prétendent bien anti-racistes et/ou féministes, eux aussi... C’est un moyen très efficace pour brouiller les pistes que de se vautrer, avec une bonne rhétorique, dans la malhonnêteté intellectuelle avec ou sans paillettes. Pour l’auditoire, il peut apparaître plus confortable de se blottir dans le voile rassurant d’une négation bien ficelée. Il y a bon nombre de lâches et de crédules avides de clichés nourrissant leurs fantasmes de domination pour croire à des déclarations proférées par des personnes qui s’autoproclament représentatives parce qu’elles parlent beaucoup plus fort que les autres. Par contre c’est très compliqué, pour le plus grand nombre des personnes prostituées de faire entendre leur véritable point de vue. Non seulement parce que les médias ne leur donnent que très rarement la parole, mais aussi parce que dans la prostitution le mensonge et la simulation sont obligatoires, vis à vis de la clientèle avérées ou potentielles, des « collègues », et des proxénètes, c’est une question de survie.
Alors, entre l’écrasante majorité des personnes prostituées qui ne disposent pas de la marge de manœuvre nécessaire pour s’exprimer librement, et les « travailleu-se-r-s du sexe » qui utilisent les médias pour vanter les mérites de la servitude sexuelle volontaire, il y a effectivement une différence fondamentale.
Il est aberrant de croire que quiconque a la capacité de parler à la place, ou au nom de l’ensemble des personnes prostituées. Cela reviendrait à croire qu’elles ont toutes le même point de vue. C’est nier une grande part de ce qui fait leur condition humaine, à savoir leurs subjectivité. Parmi les personnes sans-papiers, il y en a qui se battent pour la régularisation de tout le monde et pour la liberté de circulation inconditionnelle. Il y a aussi des sans-papiers qui défendent la régularisation au cas par cas, et même des personnes régularisées qui exploitent des nouve-lles-aux sans-papiers. De nombreuses personnes sans-papiers sont isolées et épuisées par tout ce qu’elles supportent et estiment ne pas avoir la force de se battre dans une dimension collective. Il y a des femmes victimes de violences conjugales qui se révoltent, s’organisent et/ou vont chercher de l’aide pour échapper à leurs oppresseurs. D’autres croient avoir mérité les coups qu’elles ont reçu. Et certaines pensent que lorsque cela arrive à la voisine, cette dernière « l’a bien cherché ». Je pourrais multiplier les exemples d’exploitation, d’oppressions, d’aliénations et de stigmatisations, on retrouve partout la même diversité d’opinions.
Quand on a la chance de pouvoir s’exprimer librement, il est plus honnête d’admettre sa propre subjectivité et de l’assumer. Ma subjectivité, quant à elle est influencée par l’idéologie à laquelle j’adhère. Et elle me conduit à choisir mon « camp », du côté des personnes prostituées, et non de celui des « travailleu-se-r-s du sexe ».
L’Etat français se prétend abolitionniste alors que sa politique est un mélange de règlementation (prélèvement d’impôts sur les revenus des personnes prostituées, reconnues par le Trésor Public comme « Travailleurs indépendants », ce qui les condamne à une rentabilité accrue, participe à leurs fréquents endettements et fait de l’Etat le premier proxénète de France) et de prohibition (lois contre le « racolage passif »). La confusion entre abolitionnisme et prohibitionnisme est récurrente dans les discours des réglementaristes. Le prohibitionnisme, comme le réglementarisme découlent logiquement de tout système étatique et/ou capitaliste. Alors que l’abolitionnisme est la position la plus cohérente avec les valeurs fondamentale du communisme libertaire révolutionnaire.
Un des arguments du réglementarisme est basé sur la croyance en une amélioration de la situation sociale et sanitaire des personnes prostituées. En réalité, il leur impose un contrôle médical accompagné d’une inscription sur les registres policiers. Il fait le jeu des proxénètes qui bénéficient d’une forte complicité de la part de la police. Et les personnes prostituées préfèrent majoritairement la clandestinité à ce fichage qui scelle leur ancrage dans la prostitution.
Dans le cadre d’une réglementarisation complète de la prostitution, il serait logique que le Pôle Emploi tente d’imposer aux chomeu-se-r-s en fin de droit des postes de « travailleu-se-r-s du sexe » dans les maisons « ouvertes » de C. Brunel. Les politiques réglementaristes et prohibitionnistes sont présentées comme opposées, pourtant leurs effets se ressemblent... Une des revendications des associations de « travailleu-se-r-s du sexe » est la légitimation de la prostitution. L’association parisienne « LesPutes » par exemple, proposent la création d’écoles européennes qui formeraient des « expert-e-s », c’est-à-dire des personnes dont les compétences sexuelles seraient supérieures à celles des autres. Ceci ne pourrait que renforcer la présence, déjà envahissante, des notions de performance, de compétition et de concurrence dans la sexualité, ce qui correspond, là encore, à une conception de la liberté sexuelle ultra-libéraliste et non libertaire.
Quelques « travailleu-se-r-s du sexe » regroupé-e-s dans ces associations règlementaristes et légitimistes s’insurgent contre ce qu’elles nomment une « victimisation » de la part des abolitionnistes. Cependant, elles victimisent volontiers leur clientèle, notamment avec des slogans comme « Touche pas à mon client ». Le statut de victime n’est pas une identité dégradante mais le résultat d’une situation injuste, et sa prise de conscience est nécessaire à la révolte et au désir de libération. Se reconnaître et être reconnu-e comme victime est la première étape d’un processus qui va permettre à la personne de se reconstruire et de se libérer du sentiment de culpabilité induit par les humiliations. C’est aussi pour cela qu’il est important de s’opposer à la véritable victimisation, celle des coupables que sont les prostitueurs, clientèle et proxénètes en tête. Car en victimisant les coupables on culpabilise les victimes et on tombe dans une sorte de négationnisme. Très à la mode en ce moment, le rejet de la notion de victime résulte d’un narcissisme fondé sur l’admiration de l’image du dominant. Et de fait, ce rejet est totalement anti-subversif. En effet, s’il n’y a pas de victime, alors c’est qu’il n’y a pas d’injustice et aucune raison de combattre, ni même de critiquer ce « merveilleux » système. Les pro-prostitution, « travailleu-se-r-s du sexe » ou pas, nient la sordide réalité du vécu concret de l’écrasante majorité des personnes prostituées, de la traite de centaines de milliers d’ humain-e-s dont certain-e-s sont des enfants et des profits financiers qu’elle génère pour les proxénètes.
Lorsque le capitalisme, le puritanisme et le patriarcat auront été abolis, la prostitution sous toutes ses formes aura disparu !
Alors battons nous pour de meilleurs droits pour tou-te-s, des droits inconditionnels et non soumis au statut de « travailleu-se-r du sexe » (ni même de travailleuse-r de quelque domaine que ce soit). Pour l’égalité économique et sociale !
Pour la suppression des lois qui taxent, criminalisent et empêchent les personnes prostituées de s’échapper de la prostitution !
Pour l’annulation totale des dettes qu’elles ont contractées ! Pour une augmentation conséquente des montants de minimas sociaux, assortie de la suppression de l’obligation qui incombe aux bénéficiaires de « s’inserrer professionnellement » !
Pour une augmentation conséquente des moyens attribués aux associations et services sociaux abolitionnistes afin de pouvoir proposer à toutes les personnes prostituées un accompagnement social et un accès à des soins adaptés.
Régularisaton durable et sans condition de tou-te-s les sans-papier ! Pour une véritable liberté de circulation et d’installation et l’accès aux même droits pour tou-te-s !
Pour une éducation sexuelle fondée sur la valeur inaliénable de la sexualité de chaque personne !
Mélusine Ciredutemps
Pour approfondir la réflexion :
L’excellent roman autobiographique de Jeanne Cordelier « La Dérobade » (Phébus), qui raconte les quatre années de sa vie durant lesquelles elle était prostituée.
« Anarchisme, féminisme, contre le système prostitutionnel » Hélène Hernandez et Elisabeth Claude (Editions du Monde Libertaire).
« Femmes Libres » de Mary Nash (La pensée sauvage) qui met en lumière l’organisation féministe et anarchiste espagnole « Mujeres Libres » de 1936 à 1939.
« Planète sexe » de Franck Michel à propos du tourisme sexuel et de ses liens avec les autres formes de prostitution (Editions Homnisphères).
L’article de Mona Chollet « Prostitution : les pièges du pragmatisme », sur « périphérie.org » (malgré un désaccord concernant le rapport prostitutionnel dans le mariage à l’époque où Simone de Beauvoir a écrit Le Deuxième Sexe).
Le téléfilm en deux parties du réalisateur David Yates : « Sexe trafic ».
Note :
[1] Témoignage de J, ancienne prostituée, dans : La prostitution. Quatuor pour voix féminines de Kate Millett (Denoël Gonthier – collection femme)
[2] Simone de Beauvoir ’’Le deuxième sexe’’ Tome1
[3] Simone de Beauvoir ’’Le deuxième sexe’’ Tome2
[4] Témoignage de J, ancienne prostituée, dans : La prostitution. Quatuor pour voix féminines de Kate Millett (Denoël Gonthier – collection femme)
[5] Témoignage de J, ancienne prostituée, dans : La prostitution. Quatuor pour voix féminines de Kate Millett (Denoël Gonthier – collection femme)
[6] Témoignage de J, ancienne prostituée, dans : La prostitution. Quatuor pour voix féminines de Kate Millett (Denoël Gonthier – collection femme)
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