Combien de tribunes, de slogans scandés
au creux de manifestations-fleuves, assimilant la violence israélienne à
l'égard des Palestiniens à celle du IIIe Reich à l'encontre des juifs
d'Europe ? En matière de propagande, le dernier épisode du conflit
israélo-palestinien fut ainsi identique aux précédents. Partout dans le
monde, dans toutes les manifestations pro-palestiniennes, sur tous les
forums internet, dans des bouches d'hommes politiques de toutes
tendances, le même amalgame historique sévit : l'assimilation d'Israël
au IIIe Reich, du sionisme au nazisme.
D’une
inanité historique certes confondante, l’argument a néanmoins démontré
sa capacité de frappe de par son étendue même. Il ne suffit donc pas
d’expliquer la différence absolue des phénomènes : il s’agit d’exposer
d’où vient ce thème de propagande et de le comprendre.Propagande stratégique et confusion idéologique
L’origine de l’argumentaire est
tristement logique : c’est là un des fruits pourris de la Guerre froide,
l’Union soviétique souhaitant déstabiliser Israël, l’allié des Etats
Unis. Lors du procès Eichmann (1960-1961) la presse soviétique amalgame
Israël et le IIIe Reich.
La publication soviétique Le Judaïsme sans fard
(1963) représente des soldats israéliens affublés du faciès des
caricatures antisémites mais portant croix gammées et casques à pointes.
Entre 1967 et 1978, 180 ouvrages à la fois antisémites et antisionistes
sont publiés, dont environ une cinquantaine de thèses universitaires,
ainsi que plusieurs milliers d’articles dans la presse officielle. En
1969, Prudence : sionisme, fantasmant sur l’alliance
entre sionistes et nazis, et sur l’équivalence doctrinale entre sionisme
et nazisme, est tiré à 500 000 exemplaires.
Les nationalistes arabes empruntent à la
propagande soviétique cet amalgame « juifs = sionisme = nazisme ».
Illustration en est faite en 1964 jusque dans la charte de
l’Organisation de libération de la Palestine, stigmatisant le sionisme
« colonialiste, agresseur et expansionniste, raciste et séparatiste de
par sa structure, fasciste dans ses objectifs et moyens ». L’ONU offre
sa légitimité aux formulations les plus ambiguës en adoptant le 10
novembre 1975 sa résolution 3379 (abrogée le 16 décembre 1991… une fois
la Guerre froide achevée) qui « considère que le sionisme est une forme
de racisme et de discrimination raciale ». La conférence des non-alignés
à la Havane en 1979 va encore plus loin dans l’assimilation avec le
nazisme en considérant le sionisme tel un « crime contre l’humanité ».
Néanmoins, en France, c’est l’extrême
gauche à l’origine, qui porte l’accusation, plus encore que les
staliniens, pourtant zélés, et alors que l’extrême droite française est,
quant à elle, massivement pro-israélienne. Le tiers-mondisme mène en
effet d’une part à s’aligner sur les argumentaires palestiniens, d’autre
part à omettre très naïvement que le déplacement de la lutte des
classes sur le géopolitique était le b-a-ba de la pensée fasciste
(l’opposition entre « nations prolétaires » et « nations bourgeoises »
telle qu’elle était pratiquée par Mussolini).
Le thème antisioniste permet même l’union
sacrée entre gauchistes français, nombre d’organisations maoïstes et
trotskystes signant ainsi lors de la Guerre du Kippour (1973) un tract
commun qui conspue la « tentative d’extermination de la population
palestinienne et libanaise » entrées en « Résistance », puisque « les
troupes sionistes poursuivent leur guerre d’extermination contre
l’existence même des peuples palestinien et libanais », tandis que « les
milieux sionistes européens » manœuvrent pour les soutenir… On comprend
que ce mode discursif ait pu séduire à l’extrême droite.
L’argument dorénavant d’évidence chez
divers intellectuels médiatiques selon lequel la gauche serait la
responsable de la diffusion d’un néo-antisémitisme n’en est pas moins
une simplification massive à usage polémique. En effet, la logique de
production est passée, à ce stade de notre narration, par l’extrême
droite.
Une construction politique
Massivement, l’extrême droite française
est jusqu’en 1973 favorable au sionisme. Parfois, il s’agit de vouloir
se débarrasser des Français juifs, mais souvent est présente une
admiration pour le nationalisme israélien. L’aide venue d’Israël pour
les partisans de l’Algérie française a contribué à renforcer l’amitié.
Durant la Guerre des Six Jours (1967) prennent fait et cause pour Israël
l’ancien Commissaire aux questions juives Xavier Vallat ou l’écrivain
antisémite Rebatet – lui dont le dernier article sous l’occupation
s’intitulait « Fidélité au national-socialisme ».
Dans les rangs des antisionistes ne se
trouvent donc alors guère que des rescapés de l’Epuration et les plus
nazifiants des jeunes nationalistes. Ceux-là se souviennent que dans Mein Kampf,
Hitler se refuse à différencier antisionisme et antisémitisme, arguant
qu’un Etat juif ne serait qu’une base territoriale pour un complot juif
mondial. Suite à la création d’Israël, le beau-frère de Brasillach, Maurice Bardèche,
lance le premier groupuscule antisioniste et rédige le premier ouvrage
négationniste. Mais c’est son disciple François Duprat qui fait bouger
les lignes de fracture. Dans une brochure essentielle de 1967 il fait un
tout de l’antisionisme, du négationnisme et de l’antisémitisme.
Le négationnisme est ici, pour la
première fois, lié à l’antisionisme, légitimé par l’anti-impérialisme et
l’antiracisme. Duprat ne cesse ici de rendre la totalité des juifs
solidaires du sionisme et d’Israël. Il les exclut ainsi de l’ensemble
national et dessine les tentacules du complot juif mondial, recyclé en
« sionisme international ». L’antisionisme n’est pas ici séparable de
l’accusation de perpétuation d’un génocide à l’encontre des Palestiniens
et du négationnisme. Le sionisme étant censé concerner tous les juifs,
il devient le meilleur instrument du processus de délégitimation
antisémite, puisqu’il permet de péjorer les juifs sur la base d’une
rationalité politique et non raciale, et ainsi de contourner l’ombre
réprobatrice du judéocide -mieux : de la retourner.
La dénonciation du martyre palestinien
est l’une des armes les plus acérées de ce discours : jusque-là, les
négationnistes ne s’étaient intéressés qu’à la dénonciation des malheurs
allemands de l’après-guerre. L’argument ne pouvait guère, tandis que
l’Occupation était encore si proche, avoir une portée considérable. Il
ne faisait sans doute que marquer les extrémistes de droite en
antipatriotes, effet pervers désastreux. Faire remarquer qu’il y a un
vice originel, désormais évident, dans le slogan « une terre sans peuple
pour un peuple sans terre » est nettement plus habile.
Revenir à la raison
Ainsi n’est-il rien d’original dans le
meeting de Dieudonné et Faurisson où le second expose que la répression
de son négationnisme l’assimile à un Palestinien, rien de probant ni de
neuf dans ses chaînes emails qui nous épuisent d’images et de slogans
nazifiant Israël. Que faire face à cette perpétuation et cette hégémonie
d’une propagande initiée par un Etat, l’Union soviétique, ayant
lui-même été balayé par l’Histoire ?
Les soutiens aux Palestiniens comme ceux
d’Israël doivent en finir avec cette pose qui consiste à se saisir de la
Seconde Guerre mondiale. Il n’y a ici nul nouveau nazi, ni le Hamas ni
Tsahal n’étant comparables au phénomène national-socialiste. Ni
l’islamisme ni le sionisme ne sont idéologiquement proches du nazisme.
Il y a des crimes de guerre, non un génocide (c’est-à-dire, si l’on
parle en raison, l’extermination d’un groupe par l’assassinat de chacun
des membres qui le composent selon la puissance homicide).
L’extermination des juifs d’Europe n’est
pas le mètre-étalon de la concurrence des victimes. Il n’y a aucune
raison de la communautariser et de lui donner un sens mystique en la
nommant « Shoah » (« la Catastrophe » en hébreu) et en l’affirmant
inintelligible. Bien au contraire : le judéocide doit être ramené à sa particularité historique
pour être compris en-soi et non pour être manœuvré par des camps
important le conflit moyen-oriental. Bannir de son discours toute
facilité qui consiste à travestir notre actualité en histoire de la
Seconde Guerre mondiale devient une urgence civique.
Première parution : Nicolas Lebourg, «Israël-Palestine : Jérusalem n’est pas Nuremberg », Rue89, 16 février 2009.
Source : http://tempspresents.com/2010/05/09/nicolas-lebourg-nazification-israel-palestine/
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