24/12/2013

Alain Soral, petit idéologue et grand épicier

Cet article figure dans le numéro 14 de la version papier, en vente jusqu’à fin janvier dans tous les bons kiosques et librairies de France et de Navarre.

Il fait beaucoup parler de lui ces temps-ci. Mais si les idées et le parcours d’Alain Soral ont été largement disséqués, il n’en va pas de même de sa façon de mener ses affaires. Le fondateur et président d’Égalité et Réconciliation est pourtant à la tête de Culture pour Tous, entreprise lucrative chapeautant quatre sites de vente en ligne. Derrière la politique : l’épicerie.

Esquisse d’une méthodologie

Il y a au moins trois façons de traiter du cas Soral. La première est historique autant que politique – elle impose de se pencher sur ses écrits ou déclarations, et de les étudier au prisme de l’histoire de l’extrême-droite et de celle des idées politiques. En somme, rationaliser le corpus des interventions du leader d’Égalité et Réconciliation (E&R). Avec pour objectif d’en dégager la substantifique moelle et de comprendre ce que celle-ci dit de l’époque. Un travail indispensable1 pour mieux cerner le positionnement idéologique de ce personnage complotiste, antisémite, révisionniste et nationaliste. Et pour saisir toute la singularité de cette ultra-droite qui déteste tellement les Juifs qu’elle se contraint – effort violent – à draguer les Musulmans.
Mais cette méthode porte en elle-même son propre risque, celui de fournir au provocateur ce qu’il attend, de l’exposition et de la légitimité politique. Et de donner à la microscopique association E&R (quelques dizaines de militants) une importance disproportionnée.
Il existe une deuxième façon de procéder : se plonger dans les vidéos que met très régulièrement en ligne Alain Soral et analyser sa stratégie de communication. La forme plutôt que le fond, donc. Pas si anecdotique : depuis deux ans, ces enregistrements connaissent un succès certain sur le net2. Auréolé de l’audace de l’infréquentable qui se revendique comme tel, Soral peut se vanter d’une belle audience, fruit de ses perpétuelles provocations et injures. C’est la religion du buzz appliquée à l’extrême-droite. « Il a su se saisir des possibilités offertes par Internet et les nouveaux réseaux sociaux, constate l’un des auteurs de La galaxie Dieudonné3, Michel Briganti. C’est d’ailleurs le cas pour une bonne part de l’extrême-droite, beaucoup plus à l’aise que la gauche avec la communication sur le net. Elle a su systématiser son rapport à celle-ci, elle l’a même théorisé. »
Dans ces vidéos (parfois fleuves), Alain Soral, face caméra et filmé à domicile, rebondit sur l’actualité immédiate. Le scénario est immuable : il digresse beaucoup ; multiplie les rodomontades et les apartés « tiroirs » ; enchaîne allusions expéditives, raccourcis mensongers et assertions infondées4 ; avant – apothéose – de monter dans les tours, comme enflammé par sa propre voix, étourdi par sa dialectique erratique. Le spectateur en ressort avec l’étrange impression d’avoir assisté à une séance d’onanisme public destinée à flatter un égo démesuré.
Il arrive que l’égo déborde. Littéralement : « Moi, E&R, c’est trois à quatre heures de travail par jour. Produire ce que je suis en train de produire là, y compris les risques, c’est des milliers d’heures de lecture, c’est un cerveau qui représente en terme de valeur ajoutée beaucoup, beaucoup d’argent, c’est des années et des années de lecture, d’analyse, de combat, de prises de risques, etc... Tout ça, ça vaut cher. Mais évidemment, nous ne sommes pas dans le monde du commerce, donc nous n’avons pas l’obscénité de vous dire combien ça vaut, combien ça vaut normalement de consommer une vidéo de Soral comme la mienne [...] en terme de valeur pédagogique. »5 Ah bon, nous ne sommes pas dans le « monde du commerce » ? Vraiment ? Et si c’était l’inverse ?

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