17/06/2012

Ukraine: la prostitution ou l’envers du décor de l’Euro 2012 de football Laurent Geslin -RFI

A Kiev, comme dans les autres villes qui accueilleront l'Euro 2012 de football en Ukraine, les réseaux de prostitution se préparent à recevoir beaucoup de clients étrangers durant la compétition. Ce phénomène n'est pas nouveau. Il se répète à l'occasion de tous les évènements sportifs de grande ampleur. L'Ukraine, déjà malade du tourisme sexuel, ne devrait pas échapper à la règle.
femmes s'enroulent autour d'une barre de métal. Spots de lumière rouge qui zèbrent la pièce,Fin d'après-midi pluvieuse sur Kiev. Dans la cave d'un club de strip-tease du quartier de Podol, deux variété russe comme musique d'ambiance, les premiers clients ne sont pas encore arrivés, mais les filles sont déjà au travail. « Nous les testons une quinzaine de jours durant, nous devons être prêts pour l'Euro », glisse Sacha, l'administratrice du club. La jeune femme a gardé des yeux qui pétillent et un rire d'enfant. Mais elle connaît trop le monde de la nuit pour se bercer d'illusions.
« Travailler durant l'euro sera très difficile, les gens seront ivres, les supporters déçus ou tout
excités. Ce sera la débauche et le chaos ».
Longtemps prostituée, Sacha sert aujourd'hui d’intermédiaire si le client le demande, si la fille accepte, 200 euros pour deux heures, dans des appartements ou des hôtels. « Nous allons légèrement augmenter nos prix. On va garder les filles qui présentent bien et virer celles qui ne passent pas le ‘face control’ . Il faut recruter des filles plus jeunes, plus belles ».
« Des femmes vont venir de la campagne pour vendre leur corps »
Déjà gangrénée par le tourisme sexuel, l'Ukraine devrait accueillir des centaines de milliers de visiteurs durant le Championnat d'Europe de football en juin prochain. Une aubaine pour les réseaux de prostitution. « Des femmes vont venir de la campagne pour vendre leur corps dans les quatre villes qui accueilleront la compétition », explique Nataliya Kanarskaya, une militante de l'organisation Offensive féministe.
Selon les statistiques de l'ONG Aids alliance, le pays compterait plus de 100 000 prostituées, dont 50% de moins de 20 ans. Mais toutes les estimations restent approximatives tant le phénomène est protéiforme. « La prostitution occasionnelle peut toucher tout le monde, des enseignantes, des 9 fonctionnaires qui n'arrivent pas à boucler les fins de mois, des mères qui cherchent un peu d'argent avant la rentrée scolaire », continue Nataliya Kanarskaya.
Dans un pays où le salaire moyen ne dépasse pas 200 euros, et où le coût de la vie est relativement élevé, l'argument économique est souvent la raison principale qui pousse les femmes à se prostituer. L'argent, c'est ce qui a décidé Alyona à faire le pas. La jeune femme n'a pas encore vingt ans, c'est une nouvelle venue dans le milieu. « J'ai commencé en octobre dernier », précise-t-elle en tirant de longues bouffées sur sa cigarette. Une annonce dans un journal, quelques coups de téléphone, une première nuit à l'essai. « J'ai vu que je pouvais gagner beaucoup d'argent ».
Alyona travaille dans un appartement qu'elle partage avec cinq autres filles, elle gagne 60 euros de l'heure, dont 30 euros reviennent à sa maquerelle. A raison d'un ou deux clients par nuit, elle peut espérer 1 000 euros à la fin du mois. « Je fais cela pour pouvoir m'acheter un appartement » explique-t-elle. « J'entrerai peut-être un jour ou l'autre à l'université, j'ai toujours voulu devenir juriste. Mais depuis quelques temps, j'étudie aussi la possibilité d'ouvrir un établissement similaire à celui où je travaille. Pour cela, il me faut des contacts, beaucoup de contacts... ».
La police, partie intégrante du système
La prostitution est officiellement interdite en Ukraine, les clients et les prostitués sont passibles d'amendes et les souteneurs risquent jusqu'à sept ans de prison. Mais dans les faits, bien peu d'affaires arrivent devant les tribunaux tant la police fait partie intégrante du système. « Autour de ce café, dans le centre de Kiev, je connais trois bordels qui fonctionnent depuis 5 ans. La police le sait, tout le monde le sait, mais personne ne fait rien », explique Ina Shevchenko, membre de l'organisation féministe Femen.
Dans l'appartement où travaille Alyona, les négociations avec les forces de l'ordre sont assurées par la souteneuse. « Nous donnons 20 ou 30 euros par mois pour le 'service du toit', pour payer la police », explique Alyona, « de cette façon, ils nous protègent et nous n'avons plus à coucher gratuitement avec les policiers le samedi, comme c'était autrefois le cas ».
Oksana, Natalia et Marina ont eu moins de chance. Venus de province pour vendre leurs corps dans la capitale ukrainienne, les trois femmes n'étaient arrivées que depuis quelques jours quand l'appartement où elles travaillaient à été investi par les forces de l'ordre. « Les policiers nous ont séparé et nous ont tabassé, ils ont menacé de mettre de la drogue dans mon sac, ils voulaient me faire avouer que j'étais une maquerelle », raconte Natalia, « notre souteneur devait avoir des problèmes avec eux ».
Soutenues par l'organisation Aids alliance, elles se disent désormais prêtes à témoigner de ces violences policières devant les tribunaux, un fait rare en Ukraine. Mais par peur de représailles, elles ne se présentent que masquées devant la presse.
Des proies faciles pour des fonctionnaires zélés « A l'approche de l'euro, les policiers deviennent nerveux, ils ont reçu la consigne de faire du chiffre », souligne Pavlo Ckala, chargé de plaidoyer au sein de Aids alliance, « toutes les informations que nous obtenons confirment une augmentation des violences policières dans les
quatre villes qui accueilleront des matchs ». A l'époque soviétique, les autorités prenaient soin, à l'approche des grandes compétitions sportives, de déporter les prostituées dans un rayon de 100 kilomètres autour des villes hôtes.
La méthode n'a plus cours aujourd'hui, mais les femmes qui se prostituent restent des proies faciles pour les fonctionnaires trop zélés. « Les prostituées viennent souvent de milieux défavorisées, elles n'ont pas fait d'étude et ne connaissent pas leurs droits, ni comment se défendre après des agressions », continue Nataliya Kanarskaya, « elles sont soumises au bon vouloir des souteneurs et des policiers ».
Les ONG qui luttent pour le droit des femmes se sentent bien seules en Ukraine. Elles ont cependant prévu de lancer de vastes campagnes d'information en direction des touristes qui visiteront le pays durant le mois de juin.

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