24/12/2008

Alexandre Marius Jacob, l'anarchiste cambrioleur


Il naît en 1879 à Marseille dans un milieu prolétaire, et s'engage à douze ans comme mousse pour un voyage qui le mènera jusqu'à Sydney où il désertera. Il aura connu dans ce voyage le haut (« jet set » en croisière) et le bas (marins aux désirs desquels il se refuse, bagnards et esclaves transportés) de la société. Après un bref épisode de piraterie, à laquelle il renonce par rejet d'une trop grande cruauté, il revient à Marseille en 1897 et abandonne définitivement la marine, après avoir été miné par des fièvres qui l'accompagneront toute sa vie. Apprenti typographe, il fréquente les milieux anarchistes et y rencontre Rose, avec qui il vit.

Les socialistes de cette fin de siècle s'opposent, souvent violemment, aux anarchistes (libertaires) dans le monde ouvrier. D'un côté les uns se veulent légalistes et gagner le pouvoir par les élections, de l'autre les anarchistes pensent que la justice sociale ne se discute pas qu'elle se prend ! Dans l'Europe de la Belle Époque les mouvements anarchistes révolutionnaires font tomber des rois, des politiciens, des magistrats sous leurs bombes qui éclatent un peu partout dans le monde ! Des dizaines de militants anarchistes sont emprisonnés et certains guillotinés, pendus, etc. Les libertaires sont traqués, des hommes comme Ravachol sont condamnés à avoir la tête tranchée, mais surtout le terrorisme les rend impopulaires, ce qui nuit à leur cause.

Fiché, compromis dans une affaire d'explosifs et quelques menus larcins, condamné à six mois de prison, Jacob ne peut se réinsérer. Il va alors choisir « un illégalisme pacifiste » (« Puisque les bombes font peur au peuple, volons les bourgeois, et redistribuons aux pauvres ! »). Le 31 mars 1899, un commissaire de police et deux inspecteurs se présentent chez un commissionnaire au Mont-de-Piété de Marseille. L'accusant, à juste titre d'ailleurs, du recel d'une montre, ils l'arrêtent, après avoir dressé durant trois heures, sur papier à en-tête de la Préfecture de police, l'inventaire de tout le matériel en dépôt, qu'ils confisquent comme pièces à conviction. L'honnête homme est emmené menotté au Palais de Justice (pied de nez) tandis que les trois individus s'esquivent, emportant un butin d'environ 400000 francs. La France entière en rit.

Arrêté à Toulon le 3 juillet 1899, Jacob simule la folie (il a des hallucinations dans lesquelles il est agressé par des jésuites !) pour éviter cinq années de réclusion. Le 19 avril 1900, il s'évade avec la complicité d'un infirmier de l'asile d'Aix-en-Provence et se réfugie à Sète. Il organise alors sa bande, nommée « Les travailleurs de la nuit ». Les principes en sont simples : on ne tue pas, sauf pour protéger sa vie et sa liberté, et uniquement des policiers ; on ne vole que les parasites, les patrons, les juges, les militaires, le clergé, jamais les professions utiles, architectes, médecins, artistes,… ; un pourcentage de l'argent volé est reversé à la cause anarchiste et aux camarades dans le besoin, ce qui n'ira pas sans poser de problèmes. Il évite de travailler avec les anarchistes idéalistes comme avec la pègre, très réactionnaire en général, choisissant comme complices des déclassés, illégalistes comme lui.

L'astuce de Jacob est sans limite. Pour voir si ceux qu'il projète de cambrioler sont chez eux, il coince des morceaux de papier dans leurs portes et passe le lendemain vérifier s'ils sont toujours en place ; c'est de plus un as du déguisement. Autre astuce: il achète une quincaillerie et se fait livrer des mécanismes de coffres-forts pour s'entraîner à les crocheter, activité dont il devient un expert (toute sa vie d'ailleurs il se lança en autodidacte dans des études diverses, les approfondissant jusqu'à devenir chaque fois un spécialiste de la question). Mais sa plus belle invention est « le coup du parapluie » : un trou dans le plancher de l'appartement du dessus, un parapluie fermé glissé dans le trou, ouvert ensuite par un système de ficelles, pour récupérer les gravats et éviter le bruit de leur chute. Il lui arriva de refermer les portes par un de ses mécanismes de ficelles et de morceaux de bois, de manière à faire croire qu'il était toujours à l'intérieur ; il assista une fois de la terrasse d'un café à un assaut en règle donné à une maison pillée dans la nuit.

On voit que son humour se donne libre cours également : il signe ses forfaits d'une carte au nom d'Attila ; il y laisse parfois des mots, comme « Dieu des voleurs, recherche les voleurs de ceux qui en ont volé d'autres. » (Rouen, église saint Sever, nuit du 13 au 14 février 1901). Il fait parfois preuve d'une classe inattendue dans ce milieu : cambriolant la demeure d'un capitaine de frégate, Julien Viaud, il s'aperçoit soudain qu'il s'agit de Pierre Loti, remet tout en place et laisse un de ses fameux mots : « Ayant pénétré chez vous par erreur, je ne saurais rien prendre à qui vit de sa plume. Tout travail mérite salaire. Attila. - P.S. : Ci-joint dix francs pour la vitre brisée et le volet endommagé. » Un jour découvrant qu'une marquise qu'il imaginait richissime était en fait criblée de dettes, il lui laisse dix mille francs-or. Bien qu'il l'ait toujours démenti, Maurice Leblanc s'inspira de lui (entre autres, il est vrai) pour créer, en 1905 d'ailleurs, son personnage d'Arsène Lupin.

Avec des groupes de deux à quatre personnes, il commet entre 1900 et 1903 entre cent cinquante et cinq cents cambriolages, à Paris, en province et même à l'étranger (« Je faisais de la décentralisation »). Mais, le 21 avril 1903, une opération menée à Abbeville tourne mal. Après avoir tué un agent et s'être enfuis, Jacob et ses deux complices sont capturés. Il fait du procès, qui se tient à Amiens deux ans plus tard, une tribune pour ses idées, étonnant par sa truculence, son sens de la répartie, son idéalisme, et son intelligence. « Vous savez maintenant qui je suis : un révolté vivant du produit de ses cambriolages. » « Le droit de vivre ne se mendie pas, il se prend. » Mais aussi au président du tribunal qui lui demandait pourquoi lors d'un cambriolage, il avait volé un diplôme de Droit sans valeur marchande : « Je préparais déjà ma défense. » On est obligé de changer périodiquement ses gardiens, car il les convertit à l'anarchisme. Il échappe à la guillotine, mais est condamné à perpétuité au bagne de Cayenne.

Il y entretient une émouvante correspondance avec sa mère Marie, qui ne l'abandonna jamais ; il tente de s'évader dix-sept fois avec une remarquable ingéniosité et, face à une administration pénitentiaire qui cherche à le détruire, il doit à son intelligence (il étudie le Droit pour venir en aide à ses compagnons… ainsi qu'à lui-même) et à son énergie de rester incorruptible et inentamé sur le plan moral ; en revanche ses forces physiques sont gravement atteintes. Revenu en métropole suite à la campagne contre le bagne lancée par Albert Londres, il finit d'y purger sa peine jusqu'en 1927. Libéré, remis sur pied dans un hôpital, il travaille au Printemps, puis se fait marchand ambulant dans le Val de Loire et en Touraine, s'installant à Reuilly dans l'Indre avec sa compagne Paulette (Rose est morte penant son séjour à Cayenne) et sa mère. Il se sent bien dans le milieu forain car ce dernier est, sinon ouvert à l'anarchisme théorique, du moins proche de sa générosité.

En 1929 Jacob se présente dans les locaux du journal le Libertaire dirigé par Louis Lecoin. Les deux hommes se ressemblent et se lient d'amitié. Si Jacob (qui a pris le prénom de Marius parce que c'est moins long qu'Alexandre, et donc moins cher à écrire sur le calicot de son étal) ne reprend pas ses activités lucratives, il s'investit dans la propagande. Après les combats de soutien pour les objecteurs de conscience et ceux pour Sacco et Vanzetti, les libertaires apportent leur soutien pour empêcher l'extradition de Durruti promis à l'exécution capitale en Espagne. En 1936, il va à Barcelone dans l'espoir de s'y rendre utile à la CNT, mais comprenant que, pour lui comme pour l'Espagne, c'est sans espoir, il revient sur les marchés du centre de la France.

S'il ne s'engage pas dans la Résistance (car il n'y connait pas de réseau anarchiste), les partisans savent pouvoir trouver refuge chez lui. Après la mort de sa mère (1941) et de sa femme (1947), il vieillit entouré d'amis et de camarades de discussion (Jean Maitron, auteur du Dictionnaire biographique du mouvement ouvrier, Treno, le Directeur du Canard Enchaîné, et bien d'autres), ne renonçant jamais ni à sa verve, ni à ses opinions, ni à ses provocations d'homme libre (devant payer un impôt pour son chien, il réclame une carte d'électeur pour ce dernier, qui « n'a jamais menti, jamais été ivre. Aucun de vos électeurs ne peut en dire autant »).

En 1953 il rencontre un couple de jeunes enseignants, Robert et Josette. Profonde amitié entre les deux hommes. Et passion partagée avec la jeune femme, à qui il accorde, malgré sa décision d'en finir avec la vie maintenant que son corps le lâche, une année. Le 28 août 1954, il s'empoisonne avec son vieux chien, laissant le dernier de ses fameux mots : « (...) Linge lessivé, rincé, séché, mais pas repassé. J'ai la cosse. Excusez. Vous trouverez deux litres de rosé à côté de la paneterie. À votre santé. »

http://fra.anarchopedia.org/

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